Capacité adaptative des serpents tigres : les variations de l’acquis aussi seraient déterminées génétiquement
Quelle est la part de la génétique et quel est l’impact de l’environnement sur la capacité d’adaptation d’un organisme vivant ? Dans un article publié dans Nature le 16 septembre, un groupe du CNRS, dirigé par Xavier Bonnet1 montre que chez le serpent tigre, animal doué d’une grande plasticité phénotypique, la taille des mâchoires est capable de varier considérablement en fonction de la taille des proies présentées à l’animal, mais dans les limites de la détermination génétique. C’est une démonstrationà la fois de l’importance du déterminisme génétique et du rôle essentiel de l’environnement sur le développement adaptatif. Les auteurs insistent sur l’inadéquation de modèles simplistes qui séparent les processus de développement adaptatif en inné et acquis..
Le postulat selon lequel les gènes déterminent les individus est largement répandu. La réalité est beaucoup plus complexe. L’une des théories centrales de la biologie évolutive est qu’à partir d’un patrimoine génétique donné, les organismes ont différentes options de développement. Par exemple, à partir de la naissance, les taux de croissance peuvent varier en fonction de l’environnement afin de permettre à l’adulte d’avoir la taille optimale dans son milieu naturel. Les gammes de variations possibles à partir d’un génome donné constituent la plasticité phénotypique. Cette plasticité phénotypique serait elle-même codée par des gènes et pourrait avoir une valeur adaptative, donc représenter un avantage sélectif.
Il existe très peu d’études ayant permis de mettre en évidence la valeur adaptative de la plasticité phénotypique. Les serpents sont de très bons modèles pour cela. En effet, ils sont extrêmement «plastiques», c’est-à-dire qu’ils présentent d’importantes variations phénotypiques (longueur, taille des mâchoires, nombre de vertèbres, comportement défensif…) en fonction du milieu. Cette souplesse qui peut être physiologique, comportementale ou associée au développement présente une gamme de variations trèsétendue. On peut ainsi imposer à des serpents des variations importantes de leur environnement (alimentation, température et/ou hygrométrie durant le développement embryonnaire, milieu aquatique versus terrestre…) qui seraient mortelles pour d’autres espèces peu « plastiques » comme les oiseaux ou les mammifères. En faisant varier les conditions expérimentales, il est possible d’obtenir des individus très différents les uns des autres, par exemple des vrais jumeaux complètement différents à l’âge adulte, en taille et morphologie.
Xavier Bonnet et ses collaborateurs ont testé la contribution de la génétique et de l’environnement sur la taille de la tête des serpents tigre d’Australie. Cette taille dépend de la taille des proies ingérées. Il existe deux sous populations de ces serpents isolées géographiquement, l’une à grande tête, adaptée à des proies de grande taille, l’autre à petite tête, adaptée à des proies de petite taille. Les chercheurs ont récupéré en laboratoire les portées de serpents des deux sous espèces et les ont nourris pour moitié avec des petites proies, pour moitié avec des grandes proies, quelle que soit leur origine, les quantités de nourriture étant identiques entre les lots. La taille de la tête des serpents, en partie déterminée génétiquement à la naissance, a été mesurée tout au long de leur croissance. Les chercheurs ont observé que les serpents à grandes mâchoires présentent une plus grande plasticité adaptative que les serpents à petite mâchoire. En d’autres termes, la taille de leur mâchoire est plus modifiée par leur alimentation que ne l’est celle des serpents à petite mâchoire. Ces résultats indiquent que la faculté d’adaptation est dans ce cas déterminée génétiquement à la fois par la taille initiale de la mâchoire à la naissance et par sa plasticité après la naissance.
Ces résultats sont de nouveaux arguments contre les théories trop simplistes qui suggèrent qu’à chaque caractère phénotypique correspondent certaines combinaisons de gènes. La réponse adaptative apparaît plutôt comme une réponse complexe, déterminée à plusieurs niveaux par des facteurs génétiques qui fixent certains caractères dès la naissance et par d’autres qui conditionnent la réponse adaptative elle-même.
SOURCE:http://www.gazettelabo.fr/2002archives/breves/2004/0904/serpent.htm